fiche de lecture

mardi 13 mai 2008
Le bourgeois gentilhomme, Molière (1671)
Le bourgeois gentilhomme est une des dernières pièces de Molière -1622 /1673- puisqu’elle fut écrite deux ans à peine avant la mort de l’illustre homme de lettres (1671). Le titre évoque une époque révolue, où les titres de noblesse existaient encore en France.
L’illustration du livre sur lequel je me suis appuyée est très sommaire: on ne voit qu’un portrait de Molière de profil. Mais l’ouvrage comporte quelques gravures de Bonnart, Brissart et Lepautre.

La pièce conte les tentatives d’accession à la noblesse de M. Jourdain, un bourgeois orgueilleux et vil. Pour avoir l’opportunité d’approcher la Cour des Grands, le misérable M.Jourdain va s’exercer à une métamorphose tant physique que morale, et tenter de marier sa fille, Lucile, au fils d’un noble turc.
Parmi l’éventail des personnages proposés par Molière dans cette comédie, on trouve:
- M.Jourdain pompeux et singulier personnage. Avide de nobles reconnaissances, il mettra tout en œuvre afin que sa fille se marie avec un gentilhomme.
- Mme Jourdain, son épouse. Beaucoup plus terre-à-terre que son mari, elle promeut la liberté de choix de sa fille pour trouver un époux.
- Lucile, la fille de M. et Mme Jourdain. Amoureuse de Cléonte et promise à un autre par son père.
- Cléonte, amant de Lucile.
- Nicole et Covielle, respectivement servante de Lucile et valet de Cléonte.
- Maître tailleur, danseur, d’armes…

Le contraste des époux Jourdain est intéressant à noter, puisque Molière va représenter à travers son personnage principal, toute la bêtise et l’inconstante avidité de pouvoir de ses contemporains; face à lui, on trouve la raison et la sagesse en la personne de Mme Jourdain, qui est bien consciente des caprices inutiles de son mari. M.Jourdain représente en fait, l’anti-héros parce-qu’orgueilleux, vaniteux, et profiteur des autres (sa fille, les maîtres danseur, tailleur, d’armes…) pour atteindre son but.
Le narrateur est omniscient. S’agissant d’une pièce de théâtre, on peut supposer que l’auteur, connu pour ses pièces satiriques, a voulu dresser un portrait mordant de la société du XVII ème siècle, singeant les individus aveuglement attirés par la Cour. De plus, on peut y voir également une moquerie du peuple turc: en effet, après avoir été reçue avec les plus grands honneurs par la Cour de France, en 1669, une ambassade turque avait montré une dédaigneuse indifférence pour les splendeurs de la cour du roi Soleil. Furieux de cette désinvolture, Louis XIV aurait demandé à cet auteur de génie, de composer un ballet turc et de tirer de l’aventure, une amusante bouffonnerie.

Le récit suit un schéma narratif classique, c’est-à-dire logique et chronologique, puisque la première scène nous place chez M. Jourdain, montrant les débuts de réalisation fantasmatique de son projet : accéder à la noblesse. Puis, petit à petit, sa « progression » s’intensifie: le Bourgeois Gentilhomme doit prendre l’habit et recevoir pour la première fois une marquise : deux actions qui sont pour lui le signe de son accession au monde des gens de qualité. Curieusement, il apprendra le turc plus rapidement que les usages de la noblesse française à laquelle il veut tant appartenir, et les dernières scènes présenteront l’étape cruciale qui ferait de M.Jourdain,un gentilhomme: le mariage de sa fille avec le prétendu fils du Grand Turc.
Si l’on connaît l’œuvre de Molière, on peut s’attendre à une toute autre fin que celle imaginée par le personnage principal. Entre humour, ironie et comique de situation, la pièce n’est qu’une immense farce dont on prévoit la chute aisément, rendant la lecture d’autant plus agréable, car on se plait à voir cet arrogant bourgeois se perdre dans les méandres d’une classe sociale qui ne lui est décidément pas destiné.
Après lecture et re-lecture - pour l’avoir joué sur scène - de ce grand classique, il me semble que le titre convient parfaitement. Cette ambiguïté entre le titre de bourgeois et celui tant espéré, joue pleinement le rôle de prélude à la pièce. Le lecteur comprend dès la lecture du titre, qu’il aura affaire à une complexe dualité.
On saisit commodément le but de Molière : brosser un portrait peu glorieux du bourgeois parvenu, à qui la fréquentation des gentilshommes a fait perdre la tête .On peut ainsi se demander si Monsieur Jourdain ne fait pas la satyre d’une convention aristocratique esthétiquement et moralement vide et si finalement Molière, qui a toujours voulu s’adresser au petit peuple autant qu’au public de Cour, ne se moque pas autant des maladresses de son personnage que des conventions qu’il met à mal.

Opinion personnel: Cette pièce que j’ai vu et joué - que je connais donc très bien- est un des écrits de Molière que j’affectionne tout particulièrement; car ,si l’on compare les gentilshommes aux belles toilettes et au supposé succès, aux vedettes de cinéma notamment, de notre époque, on peut compter nombre de spécimens qui tentent, par l’apparence et le superficiel, de ressembler à un idéal « starisé ». Conscients de leur jeu de tromperie, ils cherchent à tirer profit de chaque situation, sans s’inquiéter de l’avis (et de la vie) de leurs proches et la scène XIII de l’acte III en est le meilleur exemple: Cléonte vient demander la main de Lucile à M. Jourdain, qui s’intéresse immédiatement à son statut social. Mme Jourdain tient alors des propos tout à fait raisonnés, insistant sur les moqueries qu’ils subiront si leur fille était duchesse, ainsi que sur la véritable valeur de ces gens titrés qu’il idolâtre:
« Il faut à votre fille un mari qui lui soit propre, et il vaut mieux pour elle un honnête homme riche et bien fait, (…)S’il fallait qu’elle me vint visiter en équipage de grand-Dame, et qu’elle manquât par mégarde à saluer quelqu’un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. »
M.Jourdain, répondant par quelques répliques cinglantes, ne se soucie guère du bonheur de sa fille et y voit son propre intérêt: « Voilà bien les sentiments d’un petit esprit, de vouloir demeurer dans la bassesse. Ne me répliquez davantage: ma fille sera marquise en dépit de tout le monde. »


En prenant compte du contexte historique de la pièce, cet écrit est d’intérêt public:
une morale universelle découpée en cinq actes, mettant en scène les travers et les défauts de gens en quête de haute reconnaissance sociale, qui se retrouvent dans des situations proches du ridicule.
Il me paraît évident que cette pièce devrait être lue par tous. D’abord, parce-que c’est un classique de notre littérature, mais aussi, parce-que nul ne peut avancer le fait qu’il n’ait jamais essayé de ressembler ou d’accéder à un milieu autre que le sien. L’argent et les paillettes attireront toujours l’être humain.
Ainsi, par un maniement habile de l’humour et de la farce, Molière nous livre une caricature efficace et drôle d’une tranche d’individus prêts à tout pour n’être finalement qu’une pâle copie de ce qu’ils désirent véritablement. A croire que Molière avait véritablement cerné l’orgueil humain quatre siècles avant notre ère.

Maylis St Georges Chaumet

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